Islam, Vote et Démocratie

Chapitre 2 - Le vote est-il du shirk ?

par Anthony Ghelfo 2019

Le grand argument présenté par les défenseurs de l’interdiction du vote musulman dans les pays d’occident, et en France notamment, c’est de prétendre que le vote effectué par un musulman en République française serait un acte de shirk. Le shirk (association) consiste à donner des associés à Dieu, à Le co-déifier, à prendre en adoration autre que Lui. Et ceci constitue le plus grand péché pour un musulman, impardonnable selon le Coran (Coran 4:48). Il faut bien comprendre que si lʼAssociation est le plus grand péché, cʼest tout simplement parce que cʼest un annulatif de lʼislam. Cʼest-à-dire que vous cessez dʼêtre musulman en commettant un acte dʼassociation, car cela revient à renier le tout premier pilier de lʼislam : la shahâda. Si la shahâda est la porte dʼentrée dans lʼislam, le shirk est la porte de sortie.

Selon leur thèse toujours, pour étayer leur propos, ils assimilent le système républicain à une sorte de religion dans laquelle l’idole principale serait Marianne, la laïcité ou la démocratie (cela dépend des groupes). Le vote serait alors considéré comme un outil qui façonnerait et maintiendrait ces idoles forgées. Une idole, selon lʼislam, est une chose à laquelle on attribue des qualités divines, alors quʼelle en est objectivement dépourvue. Nous allons voir que tout ce raisonnement est invalide. Qu’il n’a que pour but de dissuader les musulmans sous la menace du shirk. En effet, pour celui qui n’a aucune certitude sur ce sujet, il est clair qu’il aura tendance à s’abstenir de peur de commettre le plus grand péché de sa religion.

Exemple de vidéo expliquant que le vote serait du shirk : https://youtu.be/f8HOrXFLbAs
Cette vidéo youtube est un exemple dʼargumentation fallacieuse présentant le shirk comme prétexte d’illicéité du vote musulman en occident.

Acte publique consistant à témoigner de lʼexistence de lʼUnicité de Dieu, et à rejeter lʼexistence de toute autre forme de divinité, ainsi que reconnaissance du Prophète Muhammad comme messager de Dieu, à travers le Coran. Cʼest cet acte qui vous fait rentrer dans lʼislam. Poser des actes contraires à ce témoignage, vous en fait naturellement sortir.

Il faut rappeler que le vote n’est qu’un outil. Il nous sert à porter l’expression d’une opinion. Dʼun point de vue musulman, rendre licite ou illicite cet acte d’expression peut avoir des conséquences importantes, lorsquʼon connaît la gravité de rendre illicite ce que Dieu dans le Coran nʼa pas rendu illicite, et inversement. Si le mot « vote » n’est pas dans les sources islamiques, dans ce cas, il faut recourir à lʼeffort de réflexion (ijtihâd), et ce qu’on utilise en premier lieu, cʼest le raisonnement par analogie (qiyâs). Nous allons voir deux cas d’utilisation dans ce chapitre.

Ici, pour déterminer le caractère licite ou non du vote en Occident, il faut que nous trouvions un concept analogique, cʼest-à-dire, un mot présent dans les sources, et dans le Coran idéalement, dont la signification se rapproche de la définition et des caractéristiques de la notion de « vote ». Le lien le plus évident qui a été établi par les savants, est celui avec la notion dʼ « appel à témoin » ou dʼ « attestation » (shahâda), présente dans le livre de Dieu (Coran 65:2 ou Coran 70:33).

Le Coran précise également comment le peuple doit se comporter politiquement, mais aussi comment le ou les dirigeant(s) doivent se comporter vis-à-vis de leurs gouvernés. Ainsi, la première source légitime de lʼislam sollicite le témoignage des musulmans quand on le leur demande, ce qui est le cas dans la situation d’une élection. Les musulmans ont le devoir de témoigner lorsqu’on fait appel à eux, ils doivent assumer leur responsabilité (Coran 2:282). Il ne leur est pas permis de le cacher si on leur demande (Coran 2:283), et il leur est interdit de produire de faux témoignages, exceptés pour préserver sa vie. Si le musulman ne peut témoigner en faveur du bien, il doit au moins témoigner en défaveur du pire. Mais comme nous l’avons vu précédemment, ce genre de situation nʼexiste pas en France, grâce notamment au vote à bulletin secret, vous avez toujours la possibilité de témoigner en faveur du bien (comme nous lʼexpliquerons dans le quatrième chapitre).

Regardons maintenant du côté des dirigeants  : le Coran est clair et il condamne toute forme de tyrannie. Pharaon en est lʼexemple le plus significatif. Un tyran impose son avis à la population sans le consulter. Il est par nature oppresseur, et se range dans la catégorie des kouffar. Lʼhistoire de lʼislam nous montre également que le pouvoir ne doit pas se transmettre par hérédité. Abû Bakr, premier calife, nʼétait pas le fils du Prophète. Il nʼy a pas nécessairement de relation père fils dans la transmission du pouvoir. Il n’y a donc pas de monarchie héréditaire systématique. Le dirigeant doit utiliser la consultation (Coran 42:38), consulter « au sujet de toute affaire » (Coran 3:159), il doit consulter non seulement ceux qui ont témoigné pour lui, mais aussi ceux qui sont concernés par la décision.

La consultation, aujourdʼhui, elle ne peut prendre d’autre forme que celle d’un référendum (populaire). En effet, nous avons des échelles de populations qui ne permettent plus de témoigner de manière directe et orale, comme c’était le cas à l’époque du Prophète (), où l’on pouvait directement porter allégeance, hommes et femmes (avec notamment la notion de bâyaʼa, Coran 48:18 ou Coran 60:12). Nous sommes obligés de recourir au système du vote pour faciliter la comptabilité des voix, de tous ceux qui souhaitent témoigner. La question d’un référendum doit être clairement posée, non-orientée, et les choix de réponses les plus ouvertes possibles pour englober tout les avis de la population concernée, mais aussi, pour ne pas tromper son peuple.

Lorsque nous disons que ce travail a été fait par les savants, c’est que nous admettons ne pas être capable de fournir cet effort de réflexion, mais que nous acquiesçons le résultat.

Amousi Mohamed, « La citoyenneté – Clef dʼune contribution civilisationnelle des musulmans dʼEurope », p.265-295.
Voir aussi la réponse de Cheikh Yusuf Al-Qaradawi :
http://www.islamophile.org/spip/La-democratie-et-l-islam.html
Nous avons là, à nouveau, un mot polysémique.

« Calife » dans le sens de successeur du Prophète.

Abû Hurayra a rapporté : « Je n’ai jamais vu quelqu’un consulter ses compagnons aussi souvent que le Messager de Dieu (). »
Rapporté par lʼimam Ahmad

Le Prophète Muhammad () et les califes bien-guidés ont utilisé cette forme de consultation de nombreuses fois, dont la participation fonctionne comme le vote, puisquʼelle est basée sur le témoignage.

  1. La consultation ne concerne pas que les musulmans, mais s’adresse aussi à la communauté territoriale : le Prophète a dʼabord fédéré différentes tribus d’Arabie, en particulier à Médine, où la fameuse Constitution est le résultat d’une concertation entre chefs de clans de croyances diverses, juives et païennes principalement.

  2. Le résultat de la consultation doit être appliqué : le Prophète () a consulté ses Compagnons à nombreuses reprises sur des questions de tactique et de stratégie de guerre (Coran 42:38), notamment au jour de Badr (624) et lors de la bataille dʼUhud (625). Tels étaient les priorités politiques à cette époque.

  3. La majorité doit l’emporter : le deuxième calife bien-guidé, Omar ibn al-Khattâb, avait ordonné de mettre en place une consultation pour élire son successeur. La délibération devait se faire dans un consensus (ijmâ`) entre six Compagnons de confiance, des muhâjirûn, nommés en se basant sur des propos du Prophète dont se souvint Omar. Les circonstances ont fait que lʼensemble de ces Compagnons (‘Alî ibn Abî Tâlib, ‘Othmân ibn ‘Affân, Talha ibn ‘Ubaydallâh, az-Zubayr ibn al-‘Awâm, Sa‘d ibn Mâlik, ‘Abd ar-Rahmân ibn Awf) nʼont pas su se départager. La tâche consistant à trancher entre ‘Alî et ‘Othmân est revenu à ‘Abd ar-Rahmân ibn ‘Awf. Pour ce faire, lʼhistorien ibn Kathîr rapporte :

  4. « ‘Abd ar-Rahmân ibn ‘Awf se mit à consulter tous les musulmans, les notables comme les gens ordinaires. Il le fit en public, en sʼadressant à des groupes de gens et en privé, en sʼentretenant avec certaines personnes en particulier. Il alla même jusquʼà demander leurs avis aux femmes qui ne quittaient guère leurs foyers, aux enfants qui apprenaient le Coran et aux voyageurs qui se rendaient à Médine en simples visiteurs. »
    Ibn Kathîr

Ces trois points résument relativement l’esprit classique d’une démocratie au travers du mécanisme de la consultation, du consensus et de la prise en compte de la pluralité des avis.

Mais pour quʼil y ait une véritable concertation, comme son nom l’indique, il doit y avoir des échanges, des discussions, des débats avant de soumettre le vote et la décision. Il faut éclairer les avis du peuple de façon objective, cʼest-à-dire sans omission, afin de faire surgir à travers la controverse et la polémique, le discernement.

Cʼest dʼailleurs pour ça que le Coran dit à plusieurs reprises : « La plupart des gens ne savent pas », « la plupart des gens ne raisonnent pas », « la plupart des gens ne croient pas. » Pourquoi ? Étant donné que la plupart des gens (et y compris les dirigeants politiques) sont spécialistes dans quelques domaines bien précis, et totalement profanes, voir ignorants, dans le reste des sciences. Cʼest pourquoi, avant de soumettre un référendum, il faut mettre en contact le peuple avec des experts sur les questions qui vont être soumises à la votation. Il faut aussi une véritable pluralité de spécialistes, sans censure ni sujet tabou : on ne peut pas se contenter seulement de quelques experts auto-proclamés ou cooptés par le pouvoir en place.

Cependant, il est vrai que ces premiers systèmes de votation, à l’époque du Prophète, nʼétaient pas dirigés vers tout le peuple, mais seulement vers les chefs de tribu, les représentants de groupe, les personnes considérées comme étant les plus avisées. Cela s’explique tout d’abord par le fait que dans lʼorganisation sociale par systèmes tribaux et claniques en Arabie, on supposait que le chef représentait l’avis de la tribu, et cette dernière devait s’y plier. Nous parlons ici d’une époque où l’illettrisme était courant, et le niveau d’instruction très bas. Alors que l’idéal islamique (et/ou républicain), est de faire de tout homme, des citoyens sensibles aux questions de société, notamment par l’instruction, le devoir de rechercher la science, et donc, de faire en sorte que tout le monde se sente le plus concerné possible sur les affaires du pays (du territoire). Dans une élection présidentielle, c’est de la vision de la nation dont il est question. En France, tout Français, quel qu’il soit, est concerné par son devenir.

Nous venons de démontrer que le vote, en soi, ne peut pas être considéré comme illicite d’après les sources islamiques. Néanmoins, il nous reste à démontrer que la pratique du vote ne conduit pas au shirk, lorsqu’il est pratiqué au sein de la République, qu’elle soit française ou autre.

Musnad Ahmad, n°18449.

Cf. Tafsir dʼibn Kathîr.

Ibn Kathîr, cité par Khâlid Muhammad Khâlid, dans « Les 5 Califes bien-guidés », p.183.

Rapporté par Anas ibn Malik : « La recherche du savoir est une obligation pour chaque musulman [...] », dans Sunan Ibn Mājah n°224.

Faisons remarquer qu’une République peut être islamique.

Posons clairement la démonstration classique dʼoù résulte lʼidée selon laquelle le vote en République serait du shirk. Ils partent du principe que la « démocratie », la « république » ou la « laïcité » seraient des religions ou des idoles. Leur raisonnement étant confus, on remarque dʼabord ce manque de distinction entre ce qui relève du culte et ce qui caractérise une idole, deux notions fondamentalement différentes. Mais leur constat peut effectivement trouver des sources, puisquʼil y a des témoignages clairs et sans ambiguïtés chez les franc-maçons (Bernard Ravet, Vincent Peillon). Et selon les partisans anti-vote, lorsque lʼon met un bulletin dans une urne dans un contexte républicain, cela serait similaire à faire un acte d’adoration, rendre un culte, pour façonner cette idole que serait la République, la démocratie, Marianne (cela dépend des groupes). Si cela sʼavérerait vrai, alors effectivement, ce serait interdit pour les musulmans de participer à toute forme d’élection républicaine, pour la simple et bonne raison qui consiste à dire qu’un musulman ne peut adorer autre chose que Dieu. Sauf que nous allons voir que nos prémisses sont fausses.

Tout d’abord, nous nʼavons pas à nous soumettre aux définitions des francs-maçons. Ce qu’ils considèrent eux comme religions, ne sont que des outils politiques et autres concepts totalement profanes, dénués de religiosité. Si nous faisons l’effort de remettre les définitions à lʼendroit, la démocratie et la République sont des systèmes ou régimes appartenant à la philosophie politique, la laïcité un principe avant même dʼêtre une loi, Marianne un symbole, et le vote un instrument. Si nous nous attachons aux véritables définitions, il n’y a pas d’idoles ni de religions dans le collimateur. Maintenant, nous ne pouvons rien contre ceux qui prennent ces choses en adoration et les utilisent dans leur culte.

Et les exemples ne manquent pas dans le Coran. Par exemple, une partie des fils d’Israël n’ont-ils pas embrassé le culte du veau d’or (Coran 20:88-89) ? Le veau, a-t-il cessé d’être un animal, à ce moment, pour devenir une idole ? Lʼor, a-t-il cessé dʼêtre un métal ? La reine de Saba et son peuple, n’adoraient-ils pas le soleil (Coran 27:24) ? Le soleil, a-t-il cessé d’être un astre pendant cette adoration ? Évidemment que nous devons répondre par la négative à chacune de ces interrogations. Cʼest la raison pour laquelle il ne faut pas se soumettre aux définitions des gens de superstitions, car ils redéfinissent le réel avec leur passion. Sʼils se mettent à prendre en adoration une chose, cette chose cesse-t-elle dʼêtre licite pour les musulmans ? Voilà la véritable question. Et bien entendu, la réponse sera toujours négative. Les franc-maçons sont connus pour leur dialectique ambiguë et leur inversion symbolique, notamment sur le sens des mots marqués par la politique, la philosophie et la métaphysique.

« Quant aux idoles que les négateurs invoquent en dehors de Dieu, non seulement elles n’ont rien créé, mais elles-mêmes sont créées. Objets inertes et dépourvus d’âme, elles ne savent même pas quand leurs adorateurs seront ressuscités. »

Coran, Sourate An-Nahl, Les Abeilles, Versets 20 et 21

Cette non distinction est typique des sectes musulmanes modernes, qui ne savent pas faire la distinction entre lʼadoration de Dieu et lʼadoration de lʼislam. Le musulman doit faire les choses pour Dieu, et non pour lʼislam, souvent porté comme un drapeau.

https://youtu.be/doVRXBCGDHQ

http://www.lemondedesreligions.fr/entretiens/vincent-peillon-vers-une-republique-spirituelle-01-03-2010-937_111.php

« Ce qui manque au socialisme pour s’accomplir comme la pensée des temps nouveaux, c’est une religion nouvelle : “Donc un nouveau dogme, un nouveau régime, un nouveau culte doivent surgir, afin qu’une nouvelle société prenne la place de l’ancienne.” »
Vincent Peillon (ancien ministre de lʼéducation), « La Révolution française nʼest pas terminée », édition Seuil, 2008, p.149.

https://youtu.be/BtNh8idIk8I
Dans cette intervention, Jean-Philippe HUBSCH, Grand Maître du Grand Orient de France (GOF), (donc franc-maçon) prétend que la laïcité française doit se limité à lʼexpression intime et privé, alors que rien dans les textes ne laisse entendre cela. Lʼexpression religieuse est tout a fait permise dans lʼespace public, dans le cadre de la loi.
http://www.godf.org/index.php/actualite/details/liens/position/nom/Prises-de-position/slug/discours-de-jean-philippe-hubsch-grand-matre-du-grand-orient-de-france-prononc-mardi-29-janvier-2019-linstitut-diderot-paris-qui-avait-pour-thme-lavenir-de-la-loi-de-1905-sur-la-sparation-des-glises-et-de-ltat-

Nous en venons désormais à la démonstration de l’absurdité de rendre illicite le vote musulman en France pour le motif fallacieux qu’il conduirait au shirk. Nous le ferons par une analogie de situation.

Faut-il interdire le Soleil, sous prétexte qu’il risque d’être adoré ? Faut-il interdire lʼor sous prétexte qu’il risque d’être adoré ? Faut-il interdire l’utilisation de pierres aux musulmans, sous prétexte qu’elles ont été utilisées pour façonner des idoles lors de la Jahilya (époque de lʼignorance, pré-islamique) ? Voyez par vous-même l’absurdité de la situation. Rien quʼen posant ces questions, vous comprenez quʼil y a quelque chose qui cloche. Mais quel est le lien avec le vote ?

Imaginez que vous preniez une feuille de papier, et que sur celle-ci, vous dessiniez, à lʼaide dʼun crayon, un bonhomme, aux traits complètement sommaires. Puis, vous le découpez avec une paire de ciseaux. Ce bonhomme, vous lui prêtez un nom, sortant tout droit de votre imaginaire. Et enfin, tous les soirs, avant de vous coucher, vous demandez à ce petit bonhomme de papier de vous accorder le bien et de vous protéger du mal. Si vous faites cela, vous cessez dʼêtre musulman, sans équivoque. (Coran 10:106 ou Coran 25:3). Car vous associez des attributs divins à ce petit bonhomme en papier, qui en est objectivement dépourvu. Cette association avec Dieu est le plus grand péché en islam. C’est comme si vous mettiez ce petit bonhomme de papier sur le même plan que Dieu. Cette forme de shirk, est la transgression du tout premier pilier de lʼislam, en conséquence elle fait sortir naturellement de la bonne religion.

Mais revenons sur notre petit bonhomme. Vous créez de toute pièce une nouvelle religion : « le bonhommisme ». Vous décidez que, pour rendre le culte, pour faire une adoration dans cette nouvelle religion, qui de manière fictive, commence à avoir du succès auprès des gens, il faut alors découper des bonshommes dessinés sur des feuilles. La feuille de papier, le crayon et la paire de ciseaux sont, dans cet exemple, les outils qui vous ont conduits à commettre lʼassociation (shirk). Doit-on considérer dans le cas présent, que nous avons le droit de rendre illicite aux musulmans lʼutilisation du papier, du crayon et des ciseaux sous prétexte qu’ils peuvent conduire au shirk ? Vous voyez maintenant lʼabsurdité de la situation. Car, interdire le papier, le crayon et les ciseaux aux musulmans sous prétextes que certains individus vont idolâtrer des bonshommes en papier pour une religion inventée, est aussi absurde que de vouloir interdire de vote les musulmans, sous prétexte que certains franc-maçons vont idolâtrer la République et la démocratie, à travers leur culte du vote, dans une religion fabriquée, non révélée, quʼest la franc-maçonnerie. Ceux qui ne sont pas dʼaccord avec cette démonstration irréfutable, ne sont pas doués de raison. On n’interdit pas ce qui est susceptible de mener au shirk, car absolument tout dans la création est susceptible dʼêtre utilisé pour y conduire. Le Coran ne condamne à aucun moment les objets adorés. Ce quʼil condamne, cʼest lʼaction dʼassocier, cʼest-à-dire, la capacité de lʼhomme à désobéir en donnant des qualités et des attributs à autre que Dieu, soit à des objets ou des abstractions qui en sont naturellement dépourvus.

Sahîh Al-Boukhârî, n°4376, 4377

Ce petit bonhomme de papier ne peut créer ni de bien ni de mal.

Nous précisons que ce nʼest pas le fait de découper des bonhommes en papier qui est illicite, mais le fait de finir par les prendre en adoration.

Tout est question d’intention. Nous ne pouvons pas prendre en adoration autre chose que ce dont on a l’intention d’adorer. Aucune raison matérielle ou comportementale peut influencer lʼintention dʼune personne consciente qui a sa volonté propre. Ce n’est pas parce que la reine de Saba adorait le Soleil, que cet astre était véritablement une idole à son époque. Absolument tout dans la création peut malheureusement finir par être idolâtré par les hommes, que ce soit un arbre, des pierres, des statuts, des animaux, un livre, la matière, un système politique, philosophique, scientifiques, etc. Lʼhomme peut même finir par s’idolâtrer lui-même et se prendre pour Dieu. Donc la question est : doit-on rendre illicite aux musulmans tout ce que les hommes sont susceptibles dʼidolâtrer, et par la même occasion, tous les outils qui mènent à cette idolâtrie ? Étant donné les prétentions énoncées par les partisans de la thèse anti-vote. Or, au départ, le système de vote, le ciseau, le papier, le crayon, ne sont que des objets neutres. Ce nʼest que lʼintention et la finalité avec laquelle je vais utiliser ces choses qui vont jouer un rôle primordial et être comptabilisés. En réalité, tout acte commis par un être humain doué de raison, sera jugé par son intention, selon lʼislam.

Omar ibn al Khattâb rapporte : Jʼai entendu lʼEnvoyé d’Allah () dire : « Les actes ne valent que par les intentions et à chacun selon son intention. Celui qui émigre pour Allah et Son Messager, son émigration lui sera comptée comme étant pour Allah et Son Messager. Tandis que celui dont lʼémigration a pour but dʼacquérir des biens de ce bas monde ou dʼépouser une femme, son émigration ne sera compté que pour ce vers quoi il a émigré. »

Rapporté par Bukhari et Muslim

Ce hadith prouve quʼun seul et même acte (dans cet exemple lʼémigration) peut être compté différemment selon lʼintention de la personne. De même, si la personne qui vote lors des élections présidentielles, le fait avec lʼintention dʼencadrer cet acte par les définitions altérées des franc-maçons, alors certes, elle commet le shirk, car intentionnellement, elle co-déifie (associe) Dieu. Dans son esprit, elle prétend que la République a le même pouvoir que celui de Dieu. Ce qui signifie en réalité quʼelle nʼest pas musulmane au moment du vote. Alors quʼau contraire, celle qui vote en jugeant dʼaprès ce que Dieu à fait descendre, avec les définitions clairement établies dans son esprit, à savoir que Dieu reste au-dessus de la République (puisquʼIl est Le Créateur des Cieux et de la Terre, et de toute chose existante), alors nécessairement, aucune forme de shirk ne sera présente dans son acte de témoignage.

Il est également connu que le grand calife Omar ibn Al-Khattab a embrassé la pierre noire de la Ka`aba. A-t-il commis un acte de shirk ? Non, parce quʼil a vu de ses yeux le Prophète Muhammad () le faire et a reproduit le même acte par imitation, mais sous la seule condition importante que : Omar ibn Al-Khattab a reconnu que ce nʼétait quʼune pierre qui ne pouvait créer ni de bien ni de mal. Il nʼétait donc pas dans une adoration dans le fond, alors que son acte en avait la forme, lʼapparence. Il en va de même pour la République, elle ne peut engendrer ni de bien ni de mal. Cela dépend de lʼintention des hommes qui la composent et la dirigent. Lʼimam ach-Chafi‘i, a dit d’ailleurs à propos des versets 11 et 12 de la sourate Al-Anbiyâ` (Coran 21:11-12) :

« Il devient avéré pour lʼauditeur que lʼinjustice est le fait de ses habitants et non de ces édifices qui ne peuvent pas au demeurant commettre dʼinjustice. »

Imam ach-Chafi‘i

Cʼest pourquoi, prétendre quʼil faudrait se méfier de la République, cela revient à affirmer que celle-ci aurait des attributs divins, et de telles prétentions seraient comparables à du shirk. Ne pas voter en République française en invoquant la religion comme prétexte, et prétexter une injustice du régime, est une forme dʼassociation envers Dieu. À la limite, ne pas voter pour des raisons politiques semble plus argumenté, même si nous considérons que cela peut sʼavérer irresponsable. Nous en reparlerons plus en détail dans le quatrième chapitre.

Notre conclusion irait dans le sens de rendre le vote quasi-obligatoire, selon notre compréhension des textes, sous réserve de certaines conditions minimales à respecter, mais conditions qui sont présentes dans les « démocraties » occidentales. Nous devons témoigner, en tant que musulman, dans le sens de ce qui est juste. Cʼest un devoir et cʼest en ce sens quʼil est quasi-obligatoire, comme le devrait être chaque devoir dans l’islam. Le vote peut certes être considéré comme une adoration, mais il peut aussi être orienté vers Dieu si l’intention du musulman qui accomplit cet acte est sincère. On ne peut contraindre personne, mais ce sentiment dʼobligation doit naître chez le musulman afin dʼassumer ces responsabilités de croyant. L’argument consistant à rendre le vote illicite sous prétexte qu’il mènerait au Shirk est irrecevable, dénué de sens et se retourne contre lui-même. La République n’appartient pas aux Franc-maçons, que ce soit conceptuellement, ou dans la réalisation pratique et institutionnelle, même si elle lʼa été en France, historiquement parlant. Le peuple français, constitué à la fois de musulmans et de non-musulmans, peut tout à fait s’en accaparer, et même récupérer ce qu’il lui revient de droit, s’il rétablit correctement le sens des mots. Nous aurions pu également objecter le fait que la France soit une véritable démocratie, et dénoncer le projet républicain encore loin d’être abouti dans ce pays, qui régresse dʼune certaine façon par la corruption et la pression des différents lobbies, et dont la finalité devient antagoniste parfois avec la vraie notion de République. Mais nous n’avons pas cherché à polémiquer sur autant d’ambiguïté sémantique pour éviter de complexifier lʼargumentation à ce stade de la démonstration. Plus de détails seront apportés dans le dernier chapitre.

Sahîh Al-Boukhârî, n°54

Sahîh Muslim, n°1907.
Faisons remarquer que cʼest le tout premier hadith cité dans « Les 40 ahadith » de lʼimam An-Nawawi.

Mais dans la réalité, aucun musulman digne de ce nom ne pense de cette manière.

Sahîh Al-Boukhârî, n°1597

Le wahhabisme a massacré des musulmans dʼArabie par procès dʼintention dʼassociation, sous prétexte quʼils faisaient des prières près des tombes. Le wahhabisme est un matérialisme qui ne voit que lʼapparence des choses, et qui néglige tout le côté spirituel de la religion. Il se fait tromper par les apparences, les illusions et le faux. Cʼest pourquoi, les personnes de ces mouvances sont extrêmement manipulables.

Imam ach-Chafi‘i, « Ar-Rissâla, Les fondements du droit musulman », éditions Universel, 2015, p.47.

Ce qui prouve que la démocratie ne peut être une religion occidentale, sinon, les politiciens et les lobbies auraient œuvré pour sa mise en place. Or, il est évident quʼen France, malgré le suffrage universel, le système républicain ne ressemble en rien à une véritable démocratie, comme nous le démontrerons dans le cinquième chapitre.

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